L'affaire criminelle Dominici : l'assassinat d'une famille anglaise

15/07/2023

Cette célèbre affaire criminelle se passe durant l'été 1952. Une famille anglaise, les Drummond, décide de passer ses vacances dans le sud de la France. Il s'agit de Jack, un scientifique, son épouse Anne et leur fille de 10 ans, Elizabeth.

Le soir du 4 août, ils décident de passer la nuit à la belle étoile dans un petit village des Basses-Alpes appelé Lurs. La petite fille dort sur la banquette arrière de la Hillman, tandis que les parents dorment sur des transats. Est-ce la présence rassurante de la ferme d'à côté qui les fait dormir ici ? Cette ferme en pierre, le long de la route appartient à la famille des Dominici. Gaston Dominici, 75 ans y vit avec sa femme Marie, dite « la Sardine », son deuxième fils Gustave et sa femme Yvette.

La fin des moissons, le coeur à la fête

Ce soir-là, la petite famille fête la fin des moissons dans la ferme voisine. Ils font alors régulièrement la navette entre la ferme et leur champ, croisant à plusieurs reprises les Drummond. Mais la Sardine oublie de fermer une vanne d'irrigation qui provoque alors un éboulis sur la voie ferrée en contre-bas. Ainsi, plusieurs membres de la famille viennent constater les dégâts, la SNCF pouvant demander des dédommagements.

Un drame frappe la région de Lurs

Gustave, le fils de Gaston Dominici, raconte le déroulé de sa journée, et notamment son levé, vers 5h00 du matin. A 5h30, il prend le chemin de la voie du chemin de fer, avant le passage du premier train. Mais sur le chemin, il aperçoit le corps d'une petite fille, le crâne fracassé. Puis, il raconte avoir entendu une moto arriver et fait signe au conducteur de s'arrêter. Il lui demande expressément d'aller à la gendarmerie d'Oraison pour les prévenir de ce drame.

[Vers 7h00] Les gendarmes finissent par arriver, et ce n'est pas un cadavre, ni deux, mais bien trois cadavres gisant sous leurs yeux : la famille Drummond au complet ! Les Dominici ont retrouvé le cadavre de la mère, près de la voiture, recouverte d'une couverture. Elle a pris quatre balles. Le père, lui, est de l'autre côté de la route, sous un transat. Il a pris deux balles.

Une enquête policière qui démarre mal

Les badauds, mis au courant arrivent et rapidement une dizaine de personnes piétine la scène de crime. Ils s'assoient au volant de la voiture, déplacent les cadavres et saccagent les empreintes.

Nous sommes au mois d'août et la police judiciaire de Nice, en sous-effectif, est débordée. On fait alors appel à celle de Marseille, mais ce n'est pas la porte d'à côté. Par ailleurs, le consulat britannique donne plus d'informations sur Jack Drummond. C'est un scientifique, et qui plus est : un Lord ! Il a notamment inventé des compléments alimentaires pendant la guerre et a été anobli, pour cela, par le roi George VI.

La police de Marseille n'étant toujours pas arrivée, on demande au médecin du village, le docteur Dragon, de venir faire les premiers constats. En s'approchant de la fillette, il remarque qu'elle a les pieds propres, elle ne s'est donc pas enfuie en courant.

[Après 16h30] Le commissaire Sébeille de Marseille arrive enfin ! Et une dispute éclate avec le juge Périès et le capitaine Albert à qui il reproche de ne pas avoir contenu les curieux qui piétinent et fouillent la scène du crime. Mais ils retrouvent quand même une carabine cassée en deux dans une retenue d'eau. Elle est en mauvais état ! Il s'agit très probablement d'une carabine rafistolée des années durant. Mais un détail n'échappe pas aux policiers : la crosse est fissurée çà et là.

En se tournant, le commissaire Sébeille remarque la ferme des Dominici. Selon lui, ils ont forcément entendu les coups de feu, puisqu'ils sont à 150 mètres à peine ! Gaston déclare avoir effectivement entendu 6 ou 7 coups de feu vers une heure du matin. Mais pris de peur, il n'est pas allé voir ce qu'il se passait. Il savait pourtant que les Anglais dormaient tout près. Mais lorsqu'il révèle s'être levé vers 5h00, il dit aussi ne pas être allé voir ce qu'il s'était passé pendant la nuit.

Quant à Gustave, il dit la même chose. Le commissaire n'a rien à se mettre sous la dent, excepté la carabine qu'il décide d'aller montrer lui-même à toutes les fermes voisines. Et lorsqu'il la montre à Clovis, celui-ci se met à trembler, à pleurer et tombe à genoux. Pourtant, il affirme ne pas savoir à qui elle appartient. 

Mais qui est Clovis ? Clovis serait le premier fils de Gaston, mais ça, il n'en est pas sûr. Lorsque Gaston épouse Marie, elle est déjà enceinte mais il ne l'apprend que le jour de son mariage ! Alors, son fils légitime ou pas ? On ne sait pas !

La famille Dominici au coeur des suspicions

Les Dominici sont alors les suspects numéro 1 et le témoignage de Jean-Marie Olivier, le motard que Gustave a arrêté, ne donne pas la même version aux policiers ! Il dit avoir vu Gustave accroupi derrière la voiture des Anglais, cherchant quelque chose, et avoir surgi quand le fils Dominici l'a vu, pour l'arrêter. Il déclare également avoir vu Marie et Yvette devant la maison. Or, rappelez-vous, Gustave dit avoir découvert le cadavre des parents seulement après avoir indiqué au motard qu'il avait trouvé le corps d'Elizabeth. En étant derrière la voiture, il voyait forcément le cadavre de Lady Anne Drummond. Quant à Marie et Yvette, elles n'ont jamais déclaré être présentes à ce moment-là.

Gustave avoue finalement avoir découvert les cadavres du père et de la mère avant celui de leur fille. Le voilà dans de beaux draps ! Mais ce n'est pas fini ! Un cheminot, avec qui Gustave a discuté, raconte : « Je lui ai demandé comment il avait découvert la fillette, parce qu'avec le chemin qu'il a pris, il ne pouvait pas la voir. Et il m'a dit qu'il avait entendu des gémissements. » Mais attendez… Si Gustave a entendu des gémissements… C'est qu'elle n'était pas morte ! Gustave fait encore d'autres confidences quatre jours après le crime : « Si tu avais vu et entendu ces cris d'horreur ! Je ne savais plus où me mettre ! J'étais devant la maison. » Mais cela change tout ! Gustave aurait assisté au meurtre !

Il écope alors de deux mois de prison pour non-assistance à personne en danger.

Clôture de l'enquête par le commissaire

[Novembre 1953] Alors que le commissaire boucle son dossier, il décide de faire arrêter la famille Dominici au grand complet. Le coup de poker de Sébeille paye : Gustave passe aux aveux. Il avoue avoir entendu les cris, être allé voir et y être retourné pour déplacer le corps de la mère. Tandis que l'interrogatoire continue, il dénonce son père. Son père qui, selon ses dires, aurait tué les Drummond et Gustave aurait menti pour le protéger. À son tour, Clovis dit la même chose. Gaston est plus que suspect ! Après 36 heures de garde à vue, Gaston avoue enfin. Il affirme avoir été soûle, fou et ne pas s'être maîtrisé.

Avoir le coupable, c'est bien, c'est beau mais quel est le mobile du crime ?

Il aurait vu Anne Drummond se déshabiller, se serait approché et aurait commencé à la toucher. Il affirme qu'elle était d'accord. Jack, son mari, serait arrivé et aurait vu la tromperie de sa femme. Gaston et lui se seraient battus jusqu'à ce que le premier n'achève l'autre avec une carabine. Voilà à peu près les aveux. Vous y croyez-vous ? Une femme de 45 ans aurait eu une relation sur le tas avec un vieux paysan provençal de 75 ans, parlant déjà peu le français alors  l'anglais, je vous laisse imaginer les dégâts ! Après avoir tué le mari, il s'en serait pris à la femme, dont il a profité juste avant, et à leur jeune fille ?  C'est louche ! 

Sur le procès-verbal de la reconstitution, Gaston signe de sa main « je les ai tués tous les trois ».

Affaire conclue !

Une affaire loin d'être terminée

Il serait bien beau de croire que cette histoire se termine là. Gaston revient sur ses déclarations. 

Mention à part : l'accusé, Gaston, parlait provençal et connaissait peu le français, ses dépositions et prétendus aveux ont été rédigés en français alors qu'il répondait aux questions en provençal. Il n'était pas en mesure de vérifier les propos qu'on lui attribuait. 

Gustave, lui aussi, fait aussi marche arrière. Seul Clovis maintient sa déposition, mais il apporte des éléments différents. Gaston se met à accuser Gustave. Nous sommes perdus.

Enfin bref, Gaston a avoué avant de changer d'avis, c'est donc lui qui sera jugé le 17 novembre 1954. Le tribunal se transforme en véritable théâtre : Gaston Dominici est fourbe, manipulateur et provocateur. Quand le juge lui demande si Lady Drummond était assise ou debout, Gaston répond que c'est lui qui était couché dans son lit. Le public éclate de rire à de nombreuses reprises. Il affirme finalement avoir été drogué, manipulé et contraint de mentir.

Un médecin affirme que Gaston est sain mentalement. À la question : « est-il un obsédé sexuel ? », la réponse est non. C'est pourtant un acte sexuel qui aurait déclenché ce triple meurtre. Mais est-ce vrai ? Non. Le commissaire avoue lui avoir soufflé ce mobile. Il l'a donc bien embobiné. La famille se déchire alors en public, devant 175 journalistes qui suivent l'affaire et s'en délectent. 

Le 28 novembre 1954, la cours rend son verdict : Gaston Dominici est condamné à la peine de mort.

À la suite de ce verdict, les quatre avocats de Gaston révèlent que celui-ci leur a fait des confidences. Gaston accuse à nouveau Gustave et Roger Perrin, son neveu, âgé de 17 ans ! Il dit les avoir entendus en parler, puis les avoir vus faire, et n'avoir finalement qu'entendu la conversation. Des experts affirment que Gaston n'a pas commis le crime seul. Peut-être, mais avec qui ? La question reste en suspens.

En 1957, le président René Coty commue la peine capitale et le 14 juillet 1960, le général de Gaulle gracie et libère Gaston Dominici.

D'une affaire criminelle à un imaginaire complotiste

1. Il s'agirait d'un crime crapuleux. 

Une tentative de vol qui aurait tourné en bain de sang... des objets de valeur qui n'ont pas été volés… Excepté un appareil photo.

2. Le crime d'après-guerre. 

Gaston Dominici aurait récupéré un trésor de guerre parachuté par les Anglais depuis la résistance et Jack Drummond serait venu le récupérer.

La piste du KGB est, elle aussi, envisagée parce qu'il, Jack, était un espion anglais. Par ailleurs, fait coïncident, si l'on écrit « Lurs Dominici », on peut y entendre « l'URSS Domine Ici ». À la publication des archives allemandes, un journaliste français William Reymond reprend cette théorie. Le 9 août 1952, interrogé par la police allemande, Wilhelm Bartkowski, arrêté pour crime de droit commun, avoue sa participation au meurtre de la famille Drummond. Mais Bartkowski est plus que douteux : l'homme était un mythomane avéré !

Dans ses mémoires, le commissaire Chenevier explique que Gustave et Roger Perrin (surnommé Zézé) se seraient rendus, armés, sur les lieux du crime, vers 1 heure du matin, pour constater les dégâts sur la voie du chemin de fer. Mécontent du passage armé des deux hommes, Jack Drummond se serait alors manifesté. Gustave, en colère à la suite des mots de Jack, les aurait tués tous les trois. Gaston Dominici aurait rejoint Gustave et Roger et achevé la fillette d'un coup de crosse. Les trois hommes auraient ensuite mis le campement sens dessus dessous et dérobé quelques objets afin de détourner les soupçons.

3. La thèse du crime sexuel 

Malgré tout cela, si les Dominici étaient réellement innocents, pourquoi se seraient-ils dénoncés à tour de rôle ? Une manipulation collective ? Un règlement de compte familial ? Peut-être ou peut-être pas.

L'Histoire a décidément encore beaucoup de choses à nous apprendre.

Par Enzo Guyot

Quelques liens et sources utiles :

Hondelate Raconte, L'Affaire Dominici, Canal +.

Pierre Boutron, L'affaire Dominici, 2003.

Jacques Arrigoni, Affaire Dominici : Enquête sur l'histoire, Éditions Toustemslibre, 2008.

Edmond Sebeille, L'Affaire Dominici, toute la vérité sur le crime de Lurs, Paris, Plon, 1970.

Jean-Louis Vincent, Affaire Dominici. La contre-enquête, Éditions Vendémiaire, 2016.

Moi, Gaston Dominici, assassin par défaut, texte et mise en scène : André Neyton, Théâtre de la Méditerranée.