Les jardins royaux britanniques : Chartwell
« Un jour loin de Chartwell est un jour gâché », c'est ce qu'écrivit Winston Churchill dans sa résidence acquise en 1922. L'ancien Premier ministre britannique y a vécu pendant plus de 40 ans, de 1922 à 1965, année de sa disparition.
Je vous invite à pousser les grilles des jardins royaux britanniques avec moi. Visitons exceptionnellement ceux d'un ancien Premier ministre, le domaine de Chartwell, grand de 32 hectares, dans le Kent, en Angleterre.
Chartwell House - un coup de foudre
Ce domaine bâtit au XVIe siècle est de style victorien. Nichée dans l'ouest du Kent, dans le nord-est de l'Angleterre, cette région est surnommée par les Britanniques : le jardin de l'Angleterre. Mais cette résidence aurait pu ne jamais être sa propriété. En effet, celui qui était secrétaire d'État aux colonies du Royaume-Uni a acheté ce domaine en 1922 sans l'accord de sa femme, qui y était largement opposé. Elle trouvait qu'une telle demeure demanderait des sommes colossales pour l'achat et l'entretien. Mais Winston a le sens de la repartie et répondit : « Ne t'inquiète pas, je vendrais des articles ! » Rémunéré jusqu'à 500 £ par article, il put toucher près de 12 000 euros à chaque parution. Ce n'est pas rien !
Alors que celle-ci se reposait à l'hôpital, le lendemain de l'accouchement de leur cinquième et dernier enfant, ce lion (surnom qui lui était donné), prit le soin d'acheter en cachette le domaine. Fait amusant, Winston Churchill confiera plus tard : « C'est la seule fois où j'ai menti à mon épouse ! ».
Rapidement, Chartwell House devient un lieu où il faut être vu ! On y reçoit Charlie Chaplin, Albert Einstein, Harold Macmillan, Léon Blum,… De quoi faire une bonne publicité à Winston et à ses hôtes de qualité.
Peu à peu, Chartwell devient leur lieu de sécurité et de ressources. Clémentine, femme dévouée à son mari, s'y occupait de Winston alors qu'il était au plus mal, pendant ce qu'il appelait son « black dog », c'est-à-dire son chien noir. Pourtant, elle ne trouvait pas en Chartwell de l'insouciance, puisqu'elle avait sans cesse en tête les frais de la maison et du jardin. Surtout que Winston aime la grande vie, et la vie chère !
Le jardin de l'insouciance
Ici, presque tout est de Winston ! Pour faire correspondre le parc à son goût à la fois simple et particulier, il réalise d'importants travaux, qu'il confie à l'architecte Philip Tilden. D'abord, il fait creuser un grand étang et plusieurs cours d'eau, puis une piscine ronde et chauffée aux dimensions exceptionnelles pour l'époque. Par ailleurs, il dessine lui-même les plans des bassins, où il vient nourrir ses poissons rouges. Plus tard, ce bassin et ces poissons lui inspireront un tableau, vendu il y a peu pour 2 millions d'euros lors d'une vente aux enchères. En réalité, Winston ne l'a pas peinte une fois, mais une dizaine de fois. Il disait y voir là un défi artistique, mais il confiera plus tard le peindre en souvenir de Marigold, sa fille décédée à deux ans et demi.
Ce domaine est l'occasion pour ses petits-enfants de passer des moments inoubliables, comme ils aiment le raconter, à l'image de Nicholas Soames, son petit-fils. Il évoque, non sans émotions, les moments au bord de la piscine et pique-niques sur les vastes pelouses soigneusement entretenues. Le jardin est doté de plantes rares, venues du monde entier, apporté de ses voyages coloniaux. Quant au potager, c'est Clémentine qui s'en occupe. Mais ne vous en faites pas, Winston n'est jamais bien loin puisqu'il s'adonne à la maçonnerie et à la construction. Il réalise notamment au fond du potager, le cottage pour ses quatre enfants. Il peint d'ailleurs son inauguration sur une toile, qu'il appelle « le premier discours de Mary ».
Petit à petit, le domaine devient un véritable refuge pour animaux. Il n'est pas rare dans les jardins de croiser des chiens, qui courent après les cygnes noirs, qui eux-mêmes courent après les oies. Les animaux font tellement parti de la famille que Clémentine accueille un renardeau qui affole les poules. Mais plus improbable que cela, Winston Churchill se lance dans un élevage de cochon !
Et quand Winston s'adonne à la peinture dans son jardin, son caniche, nommé Rufus, le suit au pas. Néanmoins, il est hors de question pour l'homme politique britannique de manger ses animaux : « Je ne mange pas mes amis », a-t-il dit à sa femme.
Chartwell et l'art
Churchill aime se retirer dans son atelier de peinture, qui était autrefois les écuries de Chartwell. Plus de 540 tableaux peints à la main par ce vieux lion y sont recensés, bien qu'amateur. Il eut dit : « Heureux soient les peintres, ils ne seront jamais seuls ! La lumière et les couleurs leur tiendront compagnie jusqu'à la fin de leur vie. »
Pour l'anecdote, alors que Winston se trouvait dans le sud de la France pour peindre des paysages, un homme vient à sa rencontre. Celui-ci regarde attentivement les coups de pinceaux et la peinture s'étaler sur la toile. Puis, il lance à Churchill, « c'est bien, même très bien ce que vous faites, vous pourriez en vivre ! ». Winston le remercie et se retourne alors vers des badauds et demande, « c'est qui celui-là ? » Ils répondront : « Oh, c'est un fada, un Espagnol appelé Picasso ».
Mais Chartwell est témoin aussi de la destruction d'un tableau, ne pouvant rester dans la postérité. En effet, pour fêter les 80 ans de Sir Winston Churchill, l'Assemblée Parlementaire se réunit et offre en cadeau son portrait. Sur celui-ci, nous voyons Winston, assis, vieux et fatigué. On s'en doute, c'est un portrait très peu flatteur du plus grand des Britanniques. Winston dira, dans un second degré bien à lui : « ce portrait est un remarquable exemple d'art moderne ! ». Néanmoins, horrifié par le tableau et ne voulant pas qu'il reste dans la postérité, Clémentine, sa femme, le brûlera dans les jardins de Chartwell.
Winston ne pouvait pas être représenté dans un état de vieillesse avancée, alors qu'il menait le Royaume-Uni dans un combat contre le communisme pendant la guerre froide.
Les difficultés de Chartwell
En 1938, Churchill n'a plus d'argent… Il se voit donc obligé de vendre son domaine, si cher à ses yeux. Mais grâce à l'aide d'amis et de dons importants, il peut le retirer de la vente ! Néanmoins, en 1946, le 1er Vicomte de Camrose, Sir William Berry, rachète et gère le domaine pour Winston contre un loyer symbolique.
Lors des bombardements aériens allemands, les Churchill iront se réfugier dans la maison de campagne des Premiers Ministres Britannique, à Chequers. Il est vrai que Chartwell est beaucoup trop exposé aux bombes et les dégâts auraient été considérables.
La fin d'un mythe
Et comme le veut le commun des mortels, Winston Churchill s'éteint le matin du 24 janvier 1965 à l'âge de 90 ans à Londres. Il meurt 70 ans jour pour jour après son père, Lord Randolph.
Après y avoir passé les trois quarts de son temps, le domaine de Chartwell est alors cédé au National Trust et transformé en musée.
Les jardins du domaine de Chartwell sont aujourd'hui classés grade II au Monuments Historiques du Royaume-Uni.
Quelques liens et sources utiles :
Secrets d'histoire : Churchill, le lion au cœur tendre, 2016. (Émission télé)
France 5 : Chartwell, l'autre vie de Winston Churchill, 2020. (Émission télé)
National Trust and Lydia Greeves, Houses of the National Trust.
Stefan Buczacki, Churchill & Chartwell, 2007.
Par Enzo Guyot.